Impossible n'est pas français : interview d'Éric Chahi, Chevalier de l'ordre national du Mérite, sur Paper Beast

Repousser les limites du possible, imaginer des aventures uniques au gameplay sans précédent. Éric Chahi, créateur du légendaire Another World est un monument du jeu vidéo français. Nous ne pourrions pas fêter la "French Touch" sans lui donner la place qu'il mérite, nous rajoutons donc l'incroyable Paper Beast , dont la version VR sera bientôt disponible, au catalogue de GOG.COM. À cette occasion, Gameblog, site incontournable du paysage français depuis 2006, connu pour ses tests en profondeur et sa ligne éditoriale de qualité, nous a donné l'autorisation de publier une partie de leur interview d'Éric Chahi, publiée en 2019.
Dans l'expérience unique qu'est Paper Beast, le joueur aura vraiment ce sentiment d'être le premier à pénétrer dans son monde pour y vivre une aventure vraiment épique dans laquelle il se passe des événements très singuliers. Alors, pour en savoir plus sur cette aventure immersive dans un univers complètement atypique, centré sur le vivant, la nature, planqué dans les tréfonds du Big Data, c'est par là :
Gameblog.fr : Comment t'es venue l'idée de ce jeu ?
Eric Chahi : Le point de départ, c'est le vivant. Créer un jeu avec de la locomotion procédurale. Ce projet a comme fondation une simulation qui touche aussi bien le terrain que le vivant. Tout est animé par algorithmes. Les créatures s'adaptent toujours au terrain, qui peut être dynamique, aux actions du joueur, qui peut les manipuler avec beaucoup de souplesse. Par exemple, une créature en déséquilibre se rétablira avec la même agilité qu'un chat. Tout est manipulable et très interactif. Il y a le côté pâte à modeler - j'adore tout ce qui est simulation, aspect qu'on a pu avoir sur From Dust, par exemple, au niveau du terrain. Là on peut jouer avec le comportement des créatures, leurs motivations, leurs modes de vie, leur activité dans le monde...
C'est parti de ça, j'ignorais si nous allions placer ça dans un contexte réaliste ou non. Et puis il y avait cette idée de Data, de monde artificiel, notre quotidien en est de plus en plus imprégné, que ce soit par les réseaux sociaux, Internet... On baigne dans un flux de données permanent. Je trouvais qu'il y avait une singularité entre ces deux univers un peu antagonistes, entre la nature et le monde de la Data. Il s'agissait de les assembler, les faire entrer en collision. Conceptuellement, voilà l'idée.
Cela fait beaucoup penser à ces histoires dont on peut entendre parler concernant des intelligences artificielles qui apprennent en accumulant les données.
Absolument. Mais dans le cas de Paper Beast, l'approche est très poétique. Des créatures de papier, c'est assez symbolique de la Data, on écrit dessus depuis 2000 ans et ça vient du vivant, les arbres. Lorsque l'on évolue dans le jeu, en réalité virtuelle, une créature de papier, c'est très fun à manipuler. Elles virevoltent, elle peuvent même s'envoler au vent. L'aspect non réaliste apporte beaucoup en liberté de gameplay. On peut manipuler les créatures devant soi, les prendre, les attirer, les nourrir, les tirer... On ressent vraiment le vivant par leur comportement.
On imagine qu'il y a une histoire, également.
Il y a une histoire qui est en filigrane. Un peu comme dans Another World, finalement, il n'y a pas de dialogues. On est en connexion avec l'univers. On va vivre une aventure structurée par les événements du monde. Notamment la pression sous-jacente du Big Data. Cet endroit on peut le voir comme une bulle de vie préservée et isolée de l'homme.
Qu'est-ce qui t'a motivé à opter pour la réalité virtuelle pour ce projet ?
J'aime bien explorer des nouveaux territoires. Quand j'avais testé la première version de l'Oculus Rift, je n'avais pas été hyper convaincu. Sur les itérations suivantes, le HTC Vive ou le PlayStation VR, dès que j'ai eu les controllers en mains - j'ai constaté que l'on pouvait vraiment interagir, se déplacer plus facilement, ne pas être malade -, je me suis dit qu'il avait un truc vraiment terrible à faire dans univers simulé et avec cette liberté d'action. Une simulation physique mêlant tous les aspects : le vivant, le terrain, et même le vent.
La sensation de l'espace en réalité virtuelle est unique. Le volume des objets devient tangible. Cela se prête très bien à un jeu avec un écosystème, des créatures... On en aura des minuscules mais aussi de très grandes. Lorsqu'il y en a une qui passe près de soi, c'est impressionnant.
Pixel Reef se présente comme un studio qui veut réaliser des jeux indépendants, immersifs et poétiques. Peux-tu nous en dire davantage sur cette philosophie qui définit assez bien tes précédents projets ?
Ce besoin d'indépendance est motivé par l'envie de sortir des sentiers battus. Avoir le moins d'intrusion possible de l'extérieur pour que ça puisse prendre de l'essor. Pour que l'indépendance créative soit possible, il en faut au niveau financier.
Et c'est simple aujourd'hui ?
Pas forcément mais il y a des aides comme le Fond d'Aide au Jeu Vidéo, chapeauté par le CNC. On a un soutien de Sony, aussi. C'est possible d'être indépendant. Cela demande des efforts pour constituer des dossiers, etc... Et il faut faire des choix artistiques raisonnables ou astucieux, parce qu'on a des moyens limités. C'est une question de compromis. Être indépendant, c'est réaliser un jeu avec moins de moyens.
Et donc notre but est de créer des jeux innovants et "poétiques", c'est-à-dire qui communiqueront au joueur quelque chose de l'ordre du non-dit passant par du ressenti. Et surtout avec un gameplay fortement fusionné avec l'univers du jeu. Cela reste dans la continuité de mes précédentes créations.
Prêts à découvrir le monde de Paper Beast ? Plongez-vous dès maintenant cette aventure sublime et ne manquez pas le reste de notre Promo French Touch. Et pour retrouver l'interview complète, c'est par ici.